Défis et priorités de l’Amérique latine et des Caraïbes à l’aube de 2020

Réunion du Comité de l’IS pour l’Amérique latine et les Caraïbes, Montego Bay, Jamaïque

19-20 décembre 2019

En ces temps de profonde inquiétude sociale et politique à travers le continent, l’Internationale Socialiste a convoqué une réunion de son Comité pour l’Amérique latine et les Caraïbes en Jamaïque les 19 et 20 décembre 2019, accueillie par le parti membre de l’IS dans ce pays, le Parti national du peuple (PNP). Quatre thèmes fondamentaux de grande pertinence et importance pour toute notre famille politique étaient à l’ordre du jour : (i) défense et renforcement de la démocratie dans les pays de la région ; (ii) assurer un respect des droits et des libertés de tous ; (iii) priorités actuelles de notre lutte pour la justice sociale, et (iv) la paix citoyenne comme fondement et objectif de la gouvernance.

La réunion s’est ouverte sur les interventions du président du Comité, Miguel Vargas, leader du Parti révolutionnaire dominicain, PRD, et ministre des Affaires étrangères de République dominicaine ; du président du Parti national du peuple, PNP, de Jamaïque, Peter Phillips ; et du secrétaire général de l’Internationale Socialiste, Luis Ayala.

Le président du Comité a adressé ses remerciements aux hôtes tout en rappelant que la région est aujourd’hui confrontée à de grands défis qui doivent être relevés avec audace, créativité et un sens commun, entre eux les changements climatiques, la criminalité et les inégalités qui mettent en péril la démocratie et la stabilité politique. Selon un rapport récent de la Commission économique pour l’Amérique latine, la CEPAL, au cours des cinq dernières années, la tendance à la baisse de la pauvreté et de la pauvreté extrême s’est arrêtée et le nombre de pauvres devrait passer de 185 millions en 2018 à 191 millions en 2019. Les convulsions et turbulences sociales qui secouent diverses nations dans cette région du monde trouvent leur origine dans les profondes inégalités qui frappent toute l’Amérique latine et les Caraïbes et menacent la paix ainsi que la stabilité politique et sociale qui ont caractérisé le continent tout au long de ce siècle. Lançant un appel aux socio-démocrates de la région à être les garants de la paix et artisans de la démocratie, le président du Comité a mis l’accent sur le dialogue, la concertation et le respect mutuel comme chemin menant au bien-être de tous. Concernant son pays, la République dominicaine, il a lancé un appel à la protection et à la préservation de la stabilité politique, de la croissance économique durable et de la paix sociale que connaît le pays.

Le président du Parti national du peuple s’est dit satisfait de la convocation de cette rencontre qui, dans la tradition de la gauche démocratique, s’apparente à une réunion de famille, et a souhaité la bienvenue à toutes les personnes présentes. Au cours des trente dernières années, le parti a été la plupart du temps au gouvernement, saisi des enjeux découlant d’une telle responsabilité, et a profité de cette occasion pour mettre en avant sa propre identité comme partie intégrante de cette famille politique. Il a ajouté que le PNP est anticolonial, soutient le droit international, s’oppose aux prétentions et influences hégémoniques et œuvre pour un monde où prévaut une plus grande équité et justice sociale. Des principes sur lesquels reposait également l’espoir d’une meilleure gouvernance et qualité de vie dans les pays développés, avec des politiques de développement globales qui sont aujourd’hui remises en question par des politiques unilatérales ou les politiques des grandes puissances, alors qu’au bout de trente ans de mondialisation effrénée il est de plus en plus évident que les inégalités ont été creusées entre les pays et en leur sein, ce qui est précisément le cas des nations caribéennes. La crise de la dette et l’expansion des programmes du FMI ont créé un contexte fiscal qui a sérieusement réduit les options à la disposition des gouvernements de la région et a contribué à éroder la confiance dans les institutions et la démocratie.

Le secrétaire général de l’IS a fait part de sa reconnaissance envers le parti hôte et s’est félicité que le Comité se réunisse en Jamaïque. Le PNP a été lié au développement de cette Internationale par les actions de leaders historiques tels que Michael Manley, qui a contribué au renforcement de la dimension mondiale de l’IS, non pas uniquement dans le cadre de son travail dans cette région du monde, mais également en donnant des définitions clés à la dimension Nord-Sud qui ont étayé le profil universel de la social-démocratie. Nous vivons une époque dans lequel des forces politiques nationalistes, populistes et conservatrices dans différentes régions du monde présentent un défi à nos valeurs et à nos idéaux. Un défi est donc posé par ceux qui portent atteinte aux libertés et aux droits aujourd'hui et qui, contrairement à notre vision d'un monde commun, posent des politiques étroites et exclusives vis-à-vis du nôtre, qui sont inclusives dans la construction d'un État moderne et démocratique pour assurer les libertés et les droits de tous. De même, nos partis membres se sont engagés à faire progresser l'égalité et la justice sociale car l'expérience nous a montré qu'ils sont essentiels et nécessaires pour renforcer et préserver la démocratie.

Les représentants des partis de la région, à savoir de Bolivie, du Brésil, du Chili, du Costa Rica, d’Équateur, d’Haïti, de Jamaïque, du Mexique, du Panama, du Paraguay, du Pérou, de République dominicaine, d’Uruguay et du Venezuela, ont contribué aux discussions en revenant sur leurs expériences et perspectives des réalités qui prévalent aujourd’hui dans leur pays respectif. Le Comité a pris note, en particulier, des conclusions et échanges suivants :

Concernant la situation en Bolivie, les représentants boliviens ont rendu compte du fait qu’à la suite d’une vaste mobilisation des citoyens dans ce pays en protestation contre les fraudes électorales rapportées et constatées par un audit à l’initiative de l’Organisation des États américains (OEA) lors des élections convoquées le 20 octobre dernier, le président Evo Morales n’a pas été victime d’un coup d’État comme le révèle le fait que ni les forces armées ni les commandants ayant pris des décisions militaires durant la crise n’ont finalement occupé des postes de décision dans l’appareil de l’État. La nouvelle situation nationale à la suite de la démission du président ouvre de nouvelles perspectives majeures pour les démocrates en vue d’un plein retour de la démocratie et de l’instauration des valeurs du pluralisme, de l’alternance et de la reddition de comptes de la part des autorités. Conscients que la Bolivie fait face à un risque de revirement conservateur qui, sourd aux dernières leçons historiques du pays, pourrait prétendre gouverner pour ne servir qu’un pan de la population et de manière technocrate et répressive, un appel a été lancé aux personnes qui se trouvent aujourd’hui face au gouvernement provisoire à garantir une transition qui, conformément à la volonté du peuple et aux attentes de la communauté internationale, mènera cette nation vers une démocratie pluraliste avec une alternance présidentielle et respectueuse des droits des minorités. Par ailleurs, le Comité a exhorté le peuple bolivien à faire entendre, lors du prochain scrutin présidentiel, toute sa volonté de suivre un cap démocratique et progressiste, s’assurant ainsi un gouvernement stable et pérenne, passant outre les menaces que font peser les extrémismes sur le bien-être et la sécurité.

Les événements survenus ces deux derniers mois au Chili révèlent un cadre d’antagonismes politiques graves qui émerge des inégalités causées par une redistribution injuste des richesses. Les mobilisations massives sociales qui demandent des transformations de fonds du modèle de développement ont été mises à mal par des groupes minoritaires qui s’adonnent au pillage, au vandalisme et à la violence. Nous réfutons et condamnons ce type d’agissements, et nous lançons un appel à la protection des droits humains et à l’ouverture d’une enquête sur les exactions commises, de même qu’à la reconnaissance de la véracité des rapports soumis par la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et d’autres organismes spécialisés. La crise que connaît le Chili est de nature politique, ce qui fait de l’accord conclu par l’immense majorité des partis politiques pour progresser dans un processus constitutionnel, un grand pas en avant. Le Comité a lancé un appel au soutien d’un pacte social assorti d’une plus grande justice fiscale. Nous manifestons notre solidarité avec le peuple chilien et les partis frères, à savoir le Parti pour la démocratie, le Parti radical social-démocrate et le Parti socialiste.

Le Comité s’est dit préoccupé vis-à-vis la dégradation qui caractérise la situation qui prévaut dans la République sœur d’Haïti depuis plus d’une année ; situation qui met en danger les conquêtes démocratiques réalisées difficilement par le peuple haïtien depuis la chute de la dictature. Il a fermement condamné les multiples atteintes aux droits de la personne, l’usage excessif de la force pour réprimer les manifestations ainsi que les assassinats et autres crimes commis par les agents du pouvoir et ses milices. Les responsables des massacres de Lasaline, de Cité Soleil et de Bel-Air doivent comparaître devant la justice et répondre de leurs actes.

Le Comité a accordé son soutien univoque au peuple haïtien dans les responsabilités qu’il doit assumer avec lucidité pour faire avancer le processus de démocratisation, ainsi que sa solidarité avec sa lutte pour un changement de système dans la conduite des affaires de l’État, la fin de la corruption dans l’administration publique et l’amélioration des conditions de vie de la population. De la même manière, le Comité invite ses partis membres et sympathisants à s’unir aux autres forces politiques démocratiques et crédibles en faveur d’une nouvelle gouvernance dans le pays et pour mettre fin à la crise conjoncturelle dans l’intérêt bien compris du peuple haïtien.

En amont des élections générales qui sont attendues en Jamaïque en 2020, le Comité a exprimé sa solidarité avec le PNP qui affronte un parti au gouvernement ayant failli devant ses citoyens et la communauté internationale dans le maintien des normes de gouvernance et de transparence requises. Plus particulièrement, le Comité s’est enquis avec inquiétude de la recrudescence de la criminalité et de l’accroissement des inégalités au sein de ce qui représente aujourd’hui un cinquième de la population vivant en situation d’extrême pauvreté. En vue des élections générales, le PNP demeure engagé à poursuivre la lutte pour l’égalité des chances et la justice sociale, ainsi que le maintien des normes les plus élevées en matière d’intégrité et de transparence, des objectifs pour lesquels il compte sur l’appui plein et entier de l’Internationale Socialiste.

Concernant le Panama, tout en réitérant sa satisfaction, partagée par l’ensemble des membres de l’Internationale, à la suite de la victoire électorale du président Laurentino Nito Cortizo, le Comité exprime sa solidarité avec, et son soutien au gouvernement qui, sous la direction du nouveau président, poursuit un programme social qui prévoit notamment la fin de la « sixième frontière » que sont les inégalités et la dette sociale, tout en renouvelant l’engagement à renforcer le multilatéralisme contre l’unilatéralisme de l’actuelle administration américaine, comme l’a annoncé le représentant panaméen. La date de la présente réunion, le 20 décembre, coïncide avec le 30e anniversaire de l’invasion du Panama, date que le président Nito Cortizo a décrétée Journée de deuil national, rendant justice aux victimes et à leurs proches.

Concernant le Pérou, il est de la vision du Comité que la dissolution du Congrès le 30 septembre dernier constitue un pas en arrière pour ce qui trait à l’approfondissement et à la consolidation du système démocratique du pays, partageant le critère de l’OEA selon lequel l’application de Constitution dans ce cas par le président de la République du Pérou, Martin Vizcarra Cornejo, doit se faire par l’entremise de la Cour suprême constitutionnelle du Pérou, question non encore résolue par ladite Cour en réponse à la demande de compétence et de statuer sur le respect, ou non, des procédures visées. En l’absence de décision rendue, les mesures législatives correspondantes doivent être prises. Au sujet des prochaines élections législatives convoquées le 26 janvier 2020, des règles s’appliquant aux jurés électoraux spéciaux doivent être clairement établies, en particulier concernant les restrictions imposées aux représentants des partis de l’opposition démocratique.

Au sujet du Venezuela, le Comité a rejeté avec fermeté toute forme de violence politique et a lancé un appel au respect de la Constitution, des lois, de l’Assemblée nationale et de son président Juan Guaidó ainsi que de ses autres autorités, des droits humains et de tous les droits politiques de l’ensemble des Vénézuéliens. Le Comité a par ailleurs appelé les parties au conflit à chercher une solution politique à la crise afin de garantir un processus de réinstitutionnalisation qui permette de procéder dans les plus brefs délais à des élections présidentielles libres et justes assorties de garanties pour toutes les parties, de même qu’aux autres élections prévues dans le calendrier constitutionnel.

Le Comité ne cessera d’assurer un suivi permanent du conflit vénézuélien, réclamant et exigeant la libération de tous les prisonniers politiques, parmi lesquels se trouvent des membres des partis de cette Internationale dans le pays, ainsi que la fin de la levée de l’immunité parlementaire des membres de l’Assemblée nationale et la libération du député Juan Requesens et des autres prisonniers politiques reconnus dans le rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet.

La communauté internationale doit continuer à œuvrer conjointement avec les organes du système des Nations Unies face à l’ampleur de la crise migratoire, caractérisée jusqu’à présent, selon les données de l’OIM, par plus de 4,8 millions de Vénézuéliens en situation de diaspora fuyant le conflit politique et la crise économique.

À la clôture de la réunion, le Comité a approuvé la tenue de sa prochaine rencontre en avril 2020 en République dominicaine.

Participants
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