Introduction - La bonne gouvernance et le développement économique

La réunion du Comité Afrique de l’IS s’est tenue à Dakar, 12-13 juillet 2004

Le Comité Afrique de l'Internationale Socialiste a fait œuvre utile en programmant, sur la terre africaine, une thématique aussi actuelle et aussi contingente que la « Bonne gouvernance et le développement économique en Afrique ».

Assurément, à l'instar de maintes parties du monde, et plus que partout ailleurs, la mal gouvernance et la pauvreté sont largement partagées en Afrique. Rechercher des solutions efficaces et durables à la mal gouvernance et à la pauvreté est au centre de l'action des Etats mais aussi des organisations et des populations de ce continent pluri-millénaire.

Mais d'abord, entendons-nous bien sur le sens des mots et sur les réalités qu'ils couvrent, singulièrement en Afrique.

Après cela, il sera décisif, dans cette assemblée d'hommes et de femmes de progrès, parce que sociaux-démocrates, d'avancer des contributions au combat pour la solution des problématiques ainsi posées.

La gouvernance est un concept pluriel. Elle est ainsi toujours qualifiée. Elle a aussi une charge qualitative indéniable, bien qu'elle soit mesurable en termes d'acquis et de comportements politiques, institutionnels, sociaux et économiques.

Les invariants de la bonne gouvernance, dans tous les pays, sont par exemple une démocratie fiable, un dialogue organisé entre les acteurs du jeu politique, une communication transparente et régulière sur l'état de la nation, une allocation efficace des ressources publiques, une lutte contre la corruption, une justice compétente et impartiale, une bonne politique de promotion de la femme, la réalisation de bonnes politiques économiques et financières, le renforcement des capacités des institutionnels privés et publics (la Société civile, la Justice, le Parlement).

Le développement ajoute du qualificatif à la croissance économique, à travers le cadre de vie (sécurité, santé, éducation, culture, genre, environnement, infrastructures).

L'Afrique est notre continent. Berceau de l’humanité, elle donne l'image d'un continent martyre, mal gouverné, sousdéveloppé, d'une terre recluse, coincée entre le Moyen Age et la nouvelle société industrielle. A l'échelle d'une société mondialisée, ouverte, l'Afrique est à la traîne dans les domaines jugés porteurs de nos jours notamment la croissance économique, l'éducation, la santé, la formation, les infrastructures, la gestion des ressources humaines, l'évolution scientifique et technologique, la paix et la sécurité, la communication et l'informatique, la démocratie, le développement local, la promotion de la femme.

Tout ou beaucoup reste à faire pour que l'Afrique « rattrape » le reste du monde, dans le chemin d'une gouvernance qui assure le développement, en éliminant les fragilités et la pauvreté, à travers d'abord une reconfiguration continentale, aux plans institutionnel et géographique.

Le temps urge. L'Afrique a-t-elle les moyens de sortir de ses fragilités ? Quelle est sa responsabilité propre et quelle part obligatoire l'autre partie du monde doit prendre dans ce challenge à l'allure planétaire ?

A trop marginaliser l'Afrique, le monde ne court-il pas à sa perte ? Indubitablement ! Chaque réponse à ces questionnements fondamentaux est à retenir. Cela nous amène, dans l'espace-temps d'un échange large, à poser la problématique de la gouvernance et du développement de l'Afrique en deux chapitres.

1. L'état des lieux et les efforts de sortie de crise

2. La mondialisation doit être une chance pour une Afrique bien gouvernée, solidaire institutionnellement et économiquement entreprenante.

 

1. ETAT DES LIEUX ET EFFORTS DE SORTIE DE CRISE

Dotée de potentialités naturelles et minières exceptionnelles, l'Afrique se cherche politiquement depuis le années 60. La paix est agressée dans nombre de ses pays au Sud du Sahara (Apartheid en Afrique du Sud, conflits multiples et meurtriers au Rwanda, au Burundi, au Zaïre, au Congo, au Tchad, au Soudan, en Côte d’Ivoire aujourd'hui, des mouvements irrédentistes au Sénégal et ailleurs etc.).La démocratie sort difficilement des cendres de la dictature des partis uniques et les efforts réels produits dans la démocratisation des institutions sont souvent remis en cause même dans les pays où l'alternance a fait école. Ceci du fait des nouveaux pouvoirs issus des urnes qui veulent se maintenir par la fraude et l'argent. L'irréversibilité de la démocratie politique naissante reste la préoccupation majeure d'une bonne gouvernance en Afrique. Le pouvoir personnel, l'argent et le jeu des ethnies, des confréries, des régions, des nationalités ajoutés à la corruption et à la volonté de survivance politique par tous les moyens empêchent souvent l'expression libre, régulière, transparente et sincère des suffrages. C'est tout ce la aussi le lit de la déstabilisation continue de la paix en Afrique, en plus de l'action souvent pernicieuse des pays du Nord sur ceux du Sud pour la conservation de privilèges économiques et stratégiques.

C'est donc tout naturellement qu'il faille accepter que le niveau prioritaire de bonne gouvernance du Continent demeure la pérennité de la paix, de la stabilité et du respect de la démocratie à l'intérieur et entre les pays africains.

Cette responsabilité majeure incombe à nos pays qui doivent enfin, par ses élites surtout, faire preuve de lucidité historique et relever le défi de la paix, de la démocratie, j'allais dire d'un « savoir-vivre ensemble ».

La communauté internationale y a une part de responsabilité évidente. L'Afrique ne doit pas exister par la logique suicidaire pour tous, de la « ruée vers l'or », mais par celle d'un continent porteur de civilisations et de croissance au profit de la communauté mondiale. Sous ce regard, les déstabilisations et les ventes d'armes en provenance du Nord doivent mobiliser celle-ci. En lieu et place, l'Europe doit exporter plus sa méthode de gestion démocratique d'un Etat, en plus des sciences, des technologies et des délocalisations d'industries de transformation et de sociétés pétrolières.

L'économie africaine a été sous-ajustement dans une trentaine de pays pour inverser le recul économique des années 80 et stimuler la croissance. Des réformes économiques ont été menées pour booster la croissance du PIB, restaurer le cadre macro-économique, relancer l'agriculture, réduire le déficit budgétaire, encourager la concurrence, réduire les interventions de l'Etat sur les marchés en supprimant notamment les offices de commercialisation, en privatisant les entreprises publiques, en remplaçant les restrictions à l'importation par des tarifs douaniers et en procédant à des réformes financières.

Les résultats ont été mitigés et sont inversement proportionnels d'un pays ajusté à l'autre.

Cela dit, l'ajustement en lui même n'est pas un mauvais principe de gestion économique. I1 n'est simplement pas suffisant pour accélérer la croissance. Reconnaissons que la plupart des 30 pays, qui ont développé des programmes d'ajustement depuis les années 80, ont retrouvé des taux positifs de croissance du PIB par habitant, même si les performances atteintes ne sont pas du niveau des pays asiatiques et d'Amérique Latine. I1 est vrai aussi que les transferts extérieurs ont atténué les contraintes d'importation, financé les investissements (surtout dans les secteurs d'infrastructure) et régulé la consommation.

Au demeurant, l'impact de l'ajustement sur les pauvres et sur l'environnement est encore mitigé. Dans certains pays africains ajustés, les pauvres qui sont surtout en milieu rural, en tant que producteurs, ont bénéficié des réformes de l'agriculture (avec de multiples programmes à la clé comme au Sénégal avec le PNIR, le PSAOP du gouvernement socialiste), du commerce ou du régime des changes ainsi que de la suppression des monopoles dans d'importants secteurs de l'activité commerciale.

Par contre, les mesures d'ajustement n'ont pas toujours bien joué sur les prix des produits alimentaires vendus sur les marchés libres ou parallèles où s'approvisionnent la plupart des pauvres.

Les réformes, surtout pour optimiser la rareté de la ressource, ont favorisé une tarification de l'énergie, des engrais et de l'eau, proche de la vérité des prix. Elles ont réduit le gaspillage au niveau de la distribution et de la consommation.

Par contre, la taxation et la détermination des prix des ressources naturelles n'ont pas fait beaucoup de progrès.

Le transfert de main-d'œuvre - voulu avec les réformes des secteurs publics - vers le monde rural n'a pas été efficient et le chômage s'est souvent accentué devant la difficulté à repositionner valablement les exclus du secteur public et parapublic.

Aussi, la grande critique faite à l'ajustement est relative à l'insuffisante ou mauvaise prise en compte des secteurs liés au cadre de vie (la Santé - l'Education - l'Emploi).

Il va de soi que l'ajustement est une politique phasée. I1 s'agit de mettre en place un cadre de politique économique et d'investissement de nature à générer une forte accumulation de capital et un accroissement de l'épargne publique. On peut aisément comprendre qu'il faut rétablir des équilibres fondamentaux, pour dégager des ressources destinées, dans une phase ultérieure, au financement des secteurs dit « sociaux ».

Globalement, l'Afrique peine encore à trouver le chemin de la croissance et du développement durable.

 

La bonne gouvernance en est à la fois une condition, un moyen et même une finalité.

En ce qui concerne les flux financiers, plus précisément l'aide publique au développement, le retard enregistré est largement en deçà des objectifs. L'aide, en volume comme en qualité, n'a pas boosté la croissance. Elle a même, avouons-le, été souvent détournée. Si elle est nécessaire, elle doit être réorganisée dans le cadre d'un partenariat mieux étudié qui allie les ressources financières, aux ressources humaines et aux transferts de technologie. L'efficacité de l'aide est à ce prix.

Des efforts sont, en revanche, produits à l'interne comme en groupe, pour une meilleure prise en main de la destinée du Continent.

L'intégration semble aujourd’hui constituer la voie de développement par excellence surtout dans le contexte d'une mondialisation qui, malheureusement, ne gomme pas toujours les disparités et les fragilités entre le Nord et le Sud et consolide l'ordre de domination.

Sous ce registre, des expériences de gestion politique, économique et monétaire, de ressources naturelles, se mettent en place et se développent au grand espoir des populations. L'UEMOA, l'OMVS, la CEDEAO, l'UMA, l'UEMAC, l’UA sont autant de tentatives de solidarité qui s'expriment dans les domaines politique, économique, commercial, monétaire et de gestion concertée des ressources naturelles comme l'eau. Des réalisations et des résultats probants sont obtenus, mais c'est la volonté politique d'asseoir des organisations crédibles dans ces domaines, pour impulser la croissance et vaincre la pauvreté qui est salutaire à tous égards.

L'Afrique est en retard. Elle n'est pas condamnée. Elle est le berceau de l'Humanité. Aujourd'hui, elle est aussi son avenir. Et cela, des millions de générations d'Africains, surtout les plus jeunes, le sentent, le veulent et sont déterminés à travailler à l'avènement de cet avenir. A cet égard, l'Afrique a besoin de moins d'aide au développement mais de plus de partenariats, de justice, de paix, d'organisation et de méthode, de ressources humaines suffisantes et compétentes.

 

2. LA MONDIALISATION DOIT ETRE UNE CHANCE POUR UNE AFRIQUE POLITIQUEMENT BIEN GOUVERNEE, SOLIDAIRE INTITUTIONNELLEMENT ET ECONOMIQUEMENT ENTREPRENANTE

En notre qualité de sociaux-démocrates, par rapport à notre vision du monde, nous pensons que ce combat n'est pas seulement celui de l'Afrique et des Africains. I1 est celui de la survie d'un monde devenu un village planétaire avec l'explosion fulgurante de l'informatique, de la bureautique, des communications, de la cybernétique, des progrès de la santé, de l'éducation et du développement des sciences.

La bonne gouvernance et le développement économique de l'Afrique posent aussi le problème d'une mondialisation qui soit une chance pour l'Afrique et non pas un boulet. Celle-ci aspire, sans aucun doute aujourd'hui, premièrement à être bien gouvernée politiquement, deuxièmement à être solidaire dans ses Etats et dans la prise en charge institutionnelle de son développement qui requiert des ruptures, des ajustements, des regroupements, et enfin à être économiquement entreprenante dans la production de la richesse mondiale, dans les échanges commerciaux et culturels internationaux.

Ceci passe par l'installation durable de la paix et de la stabilité partout sur le continent. Ceci passe aussi par un « savoir-vivre ensemble », dans la solidarité.

Ceci passe encore par l'éradication des grandes maladies, comme le paludisme et le SIDA, pour conserver les générations de ressources humaines sans lesquelles il n'y a point de salut.

Ceci passe toujours par la création d'un mécanisme qui garantit aux citoyens leurs droits élémentaires et favorisent l'émergence, sans possibilité de remise en cause, d'une vraie société politique.

Ceci passe également par des politiques sociales, monétaires et économiques vertueuses, intégrées, qui tuent la corruption à la base, et distillent les revenus aux producteurs organisés et protégés dans leur travail.

Ceci passe surtout par le refus de la théologie économique libérale qui a confié au tout marché le gouvernement du monde. Il faut desserrer les ajustements et les compléter par des politiques sociales et de redistribution hardies (toujours la santé, l'éducation, l'emploi). Il faut recentrer les ajustements sur le marché interne d'abord, et non pas exclusivement sur les exportations. Il faut tempérer la concurrence dans une économie africaine pauvre où les petites industries ne peuvent pas valablement la soutenir sans un minimum de protection.

Il faut modérer fortement les spéculations financière et foncière, et celles des produits de la biodiversité surtout du sous-sol africain riche, dans le but de faire de l'Afrique le levier d'un projet économique viable à l'échelle mondiale.

L'Agriculture africaine doit résoudre en priorité la lancinante question de la sécurité alimentaire. Les petites industries de transformation de produits agricoles africains dans les secteurs du coton, du café, du cacao, de l'arachide, du sucre, doivent être soutenues par les Etats et par la communauté internationale, comme des voies fécondes d'émergence économique du continent.

Au total, la bonne gouvernance et le développement de l'Afrique ne sont pas des sujets cloisonnés. Ils sont aussi des questions de préoccupation à l'échelle mondiale qui doivent être résolues dans la solidarité des nations.

A cet égard, le Nouveau Partenariat Economique pour le Développement de l'Afrique (NEPAD) reste une initiative valable et bien opportune. C'est une tentative de sursaut économique qui s'ajoute à plusieurs initiatives prises au cours de ces trente dernières années (comme le Plan d'Action de Lagos). Le cadrage du NEPAD est éloquent et prometteur à condition de résoudre la double contrainte de la volonté politique des partenaires et de la mobilisation des ressources financières indispensables au financement des projets régionaux et nationaux, dans les différents secteurs retenus dans le programme.

L'espoir est à la mesure des aspirations des populations africaines et cela, le monde développé, en partenaire, doit le comprendre et travailler à son succès

Au demeurant, le monde lui-même est un sujet de préoccupation en termes de bonne gouvernance et de développement non suicidaire pour l’humanité. Trois dynamiques convergent de manière explosive sur notre monde de ce début de millénaire:

• la mondialisation de l'économie lancée par l'Europe, depuis des siècles, comme une OPA sur le reste du monde;

• la remise en cause de l'Etat-providence et de l'Etat tout court qui pourrait mettre fin au «politique » et à la « société »;

• la destruction généralisée des cultures, au Nord comme au Sud, par le rouleau compresseur de la communication, de la mercantilisation (publicité) et de la technologie.

La meilleure illustration, nous la trouvons dans l'évolution du système économique et financier qui porte sa propre auto destruction par la mise à l'écart, via le chômage, d'une fraction toujours croissante de la population.

C'est en cela aussi que, finalement, la bonne gouvernance s'identifie à la réhabilitation, contre l'économisme du marché, du fait politique, du fait social et du fait culturel.

C'est le pont indispensable entre elle et le développement. L'Afrique doit s'y engager, avec résolution et persévérance, avec sa culture et ses réalités, mais aussi avec les valeurs de progrès propres à la social-démocratie qui reste une source d'espérance et la voie optimale pour la majorité des pays du Monde.

Mamadou Faye

Membre du Bureau Politique du Parti Socialiste du Sénégal